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lundi 5 juillet 2021

Un homme passionnant, un documentaire à la hauteur !

 Notre ami Jean-Michel Djian, Dinannais, ancien élève du Lycée de la Fontaine des Eaux et réalisateur de documentaires est à l'honneur :

Jeudi 8 juillet, la chaîne ARTE diffusera son documentaire sur Edgar Morin.

A 23h55 ! Mais disponible d'ores et déjà jusqu'au 5 septembre sur Arte.tv.

Voyez aussi notre page Facebook : Dinan : Culture Nature et Patrimoine.

En introduction, voici un article de Philippe Petit que Gérard Ménard, membre de notre conseil d'administration a repéré pour nous.


EDGAR MORIN : L’HOMME-SIÈCLE.



Intellectuel nomade, ayant traversé plusieurs époques, la vie du grand sociologue et philosophe est un véritable tourbillon. Il fêtera le 8 juillet prochain ses 100 ans. Un documentaire passionnant diffusé sur Arte ce même jour lui rend hommage. À voir absolument.

 Le 8 juillet 2021, on fêtera le centième anniversaire du sociologue et philosophe Edgar Morin que l’on présente ordinairement comme le père de la pensée complexe. Cela mérite une pause. Pour honorer ce cap, Arte diffusera ce même jour à 19 heures un documentaire réalisé par Jean-Michel Djian : « Edgar Morin, journal d’une vie ». Tandis qu’à Cerisy-la-Salle a eu lieu un colloque sobrement intitulé « Edgar Morin, le siècle », du 16 juin au 23 juillet, dirigé par l’historien Pascal Ory et le sociologue Claude Fischler. De son côté, Morin vient de publier « Leçons d’un siècle de vie », qui dispense le lecteur pressé de lire ses mémoires parus en 2019. Il y égrène ses expériences à la manière d’un vieux sage, les pieds sur terre, la tête dans les étoiles (1)

 Venu assister à la projection de ce documentaire, il est arrivé tout sourire ; après la projection, il a simplement dit : c’est bien moi, c’est ma vie. Il faut s’y faire. Voir sa vie résumée en 52 mn, cela doit désorienter. Et pourtant, c’est un format de télévision classique, dans lequel le réalisateur se moule avec aisance. Le montage est plus proche du collage, voire du saut de puces, que du raccord en usage dans une fiction. Mais le résultat est probant. On ne s’ennuie pas. Quiconque ignorerait tout de Morin peut se faire une idée de son parcours grâce à cette plongée intempestive. Qu’il ait les cheveux courts ou longs, une moustache ou pas, le visage creusé ou les joues pleines, Morin traverse les époques en franc-tireur.

 Il eût été impossible de raconter sa vie tumultueuse en un temps si court sans opter pour un découpage abrupt. Seule une série, fortement scénarisée, aurait pu y parvenir. Il fallait faire des choix, décliner les étapes décisives de la vie de ce grand vivant. Il fallait oser le carambolage, superposer les époques. Non pas exhumer le passé, mais le faire résonner. Comprendre ce que fut le 6 février 1934 pour un adolescent féru d’Anatole France, voyant ses camarades de classe s’affronter entre partisans des Croix-de-Feu et soutiens du front socialo-communiste. Voir Berlin en ruines, pour évoquer son premier livre, « L’an zéro de l’Allemagne » (1948), au sortir de ses années de résistance. Faire sentir le rapport complexe de Morin au communisme, ses contradictions, éprouvées par sa lecture de Hegel à vingt ans. Revoir une vieille émission où Morin s’entretenait avec le cinéaste Jean Rouch de leur film « Chronique d’une été » (1960), qui laissait la parole aux ouvriers, paysans, employés, des Trente Glorieuses. Le voir prophétiser l’avènement de la « Terre patrie » (1993), en réponse au cataclysme écologique.

 Tout ces temps réunis en un seul homme dépourvu de certitudes. Car Morin n’est pas seulement le sociologue de la culture de masse des années 1960, l’auteur de « L’esprit du temps » (1962), c’est un fou de connaissance, épris de cybernétique, de biologie, de physique quantique, un enfant de l’Univers. Il faut le voir, dans son appartement de New York, en 1973, quelque peu exalté, après avoir écrit l’introduction de « La Méthode » (1977-2004), son opus magnum, où il devait s’imposer comme chercheur hors catégorie, sans programme, sans projet précis. « Je n’écris pas d’une tour qui me soustrait à la vie, mais au creux d’un tourbillon qui m’implique dans ma vie et dans la vie », écrit-il en 1985 dans le tome 2 de cette somme qui en compte 6. Il fallait faire sentir ce creux.    

 

« Il y a des vies qui brûlent comme du nylon, d’autres comme des bougies », disait Sartre. Morin appartient à la deuxième catégorie. La vieillesse chez lui n’est pas un naufrage. « La vie est cadeau et fardeau », aime-t-il à répéter. Morin n’est pas maître de son image. Mais il a su affronter les controverses. Comme celle que provoqua en 1967, la parution de son livre enquête – il n’a pas pris une ride - dans le pays bigouden, « La métamorphose de Plozévet », qui suscita le mécontentement des habitants de la commune bretonne. Ce livre occupe une place justifiée dans ce documentaire. Il fut réédité en 2013, avec une préface de Morin et une excellente postface de Bernard Paillard.  Morin y saisit sur le vif  «  le raz-de-marée modernisateur qui transforma la France après la Seconde guerre mondiale et avant la crise de la modernité » (2). On manque aujourd’hui cruellement d’affrontements entre chercheurs observateurs et citoyens observés. Morin va au front, comme on va au travail ; il ne se laisse pas démonter.

 Enfant de Salonique, dépourvu d’une identité claire, « avec sa gueule de judéo-espagnol », il n’a eu de cesse de se remettre en question, de voir large. Adolescent inquiet, étudiant assoiffé de connaissance, incapable de choisir une seule discipline, résistant ayant affronté le risque de la mort, chercheur iconoclaste au CNRS, écologiste avant l’heure, danseur émérite, il assume ses contradictions et celle des autres. Morin ne donne pas de leçons, il cherche à transmettre. Il n’est pas de ces vieillards qui vivent dans la survie, il ne vit que pour la transmission. Et son amour pour Sabah Abouessalman, sa dernière compagne, rencontrée par hasard au Maroc en 2009. Par hasard ?

Philippe Petit

(1)  Denoël, 147 p. 17 euros.

(2)  Pluriel, 500 p. 11 euros.


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